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Texte critique d'Antoine Moreau in « Le copyleft appliqué à la création hors logiciel. Une reformulation des données culturelles ? » Thèse pour l'obtention d'un doctorat en Sciences de l'Information et de la Communication. Le 16 mai 2011

Pas peu fier d'être présent dans cette thèse passionnante !!! Lien vers la thèse en ligne : https://hal.archives-ouvertes.fr/tel-02276546/document

Pages 680 à 683 de la thèse : 4.3.2.1.8 Décollage 2032. (

Nous avons choisi, pour finir notre trop succinct panorama d'œuvres réalisées avec la LAL (Licence Art Libre), une œuvre qui a été référencée sur le site Copyleft Attitude et qui est parmi celles qu'on pourrait dire représentative de l'art contemporain. Si nous pouvons y reconnaître non pas un style, mais un état d'esprit où l'ironie prime. Et nous devons le constater : très peu d'artistes, dits contemporains, ont mis leurs œuvres en copyleft. Sauf exception et cas ponctuel, comme le catalogue «3 Projets» du groupe Ultralab 2033.

«Décollage» est une œuvre de Pascal Leroux, artiste diplômé de l'École Régionale des Beaux-Arts de Nantes et qui expose régulièrement en galerie. Il s'agit d'une vidéo qui utilise un dispositif inventé par l'auteur permettant de visionner une action que nous qualifierons de poético-périlleuse : le décollage d'une caméra filmant sa mise en l'air et son atterrissage.Dans un espace dégagé (serre abandonnée, terrain vague ....), un système d’éjection est installé à une ou plusieurs dizaines de mètres en face de moi. Je vise une cible au moyen d’un lance-pierre... Lorsque le système est déclenché, une caméra vidéo hf est violemment éjectée et je dois tenter de la rattraper avant qu'elle ne s'écrase au sol.Outre cette caméra « embarquée », 2 caméras enregistrent cette action, l'une cadrant l’éjection, et l'autre cadrant ma tentative de rattrapage. Les images de la caméra embarquée sont le passage qui lie les 2 autres séquences enregistrées de l'action, ainsi décomposée, à travers les 3 prises de vues et la triple diffusion qui en résultera 2034.Un lien permet l'accès à la vidéo et un texte explique le mode opératoire de l'œuvre, la méthode de travail. C'est clairement dit, drôlement bien fait et l'art y est là magnifiquement montré dans un moment de «grâce casse-gueule», il faut bien le dire, un moment d'extase comique et poétique qui fait penser au personnage de Buster Keaton. La vidéo en ligne 2035, des extraits de l'œuvre, montre un «split screen» (multi-fenêtrage) où on voit l'artiste, la cible et le point de vue de la caméra qui filme. Le premier endroit de «Décollage» se trouve dans une serre : 1/ L'artiste tire à la fronde. 2/ Il manque sa cible.3/ Il touche et libère la caméra qui décolle et filme son éjection en l'air. 4/ L'artiste tente alors de rattraper la caméra au vol. Mais il la loupe et la ramasse au sol. Puis, on revoit cette séquence qui aura duré moins de 30 seconde, au ralenti. Suit un autre «Décollage», dans un autre lieu, en pleine campagne. Cette œuvre, en ses développements, à été présentée lors d'une exposition collective 2036. « Pour la galerie RDV, je propose un dispositif vidéo qui utilise le système de diffusion del ’espace proposé: 2 écrans plats et une vidéoprojection sur le mur (face aux écrans), le spectateur se retrouve ainsi à l'intérieur même du dispositif. Il est comme traversé par l'action et ne peut jamais l’appréhender dans sa totalité, un peu comme un match de tennis ou le regardeur tourne la tête de droite à gauche et de gauche à droite pour suivre la partie » 2037.
Cette présentation conventionnelle en galerie nous intéresse également pour la raison qu'elle croise un événement in situ (le décollage en action), la vidéo comme objet témoin, sa monstration dans le cadre d'une exposition d'art contemporain en galerie et le fait du copyleft. Cet ensemble de mises en situations de médias, de principes, de circonstances est propice à dégager de l'invention et de l'inconnu. Le soin qu'à pu prendre Pascal Leroux à résoudre les problèmes à la fois techniques et conceptuels nous ravit, car il montre que les obstacles sont franchis, y compris par le bricolage ou plutôt, justement, par un bricolage qui fait le décollage, la joie hasardeuse du décollage. L'œuvre s'élève au dessus des problèmes techniques et intellectuels par le jeu et la chute de la caméra. Quand l'artiste ne la réceptionne pas, ce qui est la majorité des cas, ce n'est pas l'échec de l'œuvre, ce n'est pas sa fin catastrophique, mais son rire, libérateur. Son apocalypse, sa révélation, sa «relèvation» : L'œuvre existe en ce moment où elle est, entre terre et ciel, au risque de la chute hors la réception de l'artiste lanceur.Un autre type de décollage nommé «Décollage (suite)» 2038 est présenté sur le site. Pascal Leroux fait tomber une suite de blocs de bois, sorte de tampons encreur, qui marquent ausol des mots, chutes après chutes, la caméra fait un plan fixe sur l'encrage, en 11 tombées.Soit les impressions au sol : 1/«Pour une» 2/«chute libre» 3/ «des corps» 4/ «Ou un»5/ «libre décor» 6/ «de chute» 7/ «Décollage» 8/ «une action» 9/ «qui vous» 10/«traverse» 11/ «l'esprit». Nous lisons, non pas « au pied de la lettre », mais « à la chute des mots » qui s'impriment au sol, cette phrase : «Pour une chute libre des corps ou un libre décor de chute.Décollage, une action qui vous traverse l'esprit». Par la chute, des mots encrent une phrase sensée qui traverse l'esprit comme se fait la lecture d'un poème : à travers mots, entre les lignes. La liberté du copyleft nous semble là magnifiquement exprimée, loin de toute sens explicite, mais par la traversée d'un sens tombé, comme du ciel, gracieusement à la limite d'un risque et comiquement révélé en un sens bien formulé. L'ensemble des œuvres de Pascal Leroux est mis sous Licence Art Libre. Voici comment l'artiste a pu affirmer son intention, outre la mention légale ad hoc, par un clin d'œil : Copyleft : L’ensemble des «œuvres» présentes sur ce site sont libres, vous pouvez les redistribuer et/ou les modifier selon les termes de la Licence Art Libre: http://artlibre.org/, et comme dirait ce vieil adage, «une idée n'est bonne que quand elle circule» 2039 et qu'elle va fertiliser, chez d'autres auteurs, d'autres idées, qui elles-même, de par leur circulation, pourront générer d'autres œuvres avec d'autres idées et ainsi de suite.

Antoine Moreau in « Le copyleft appliqué à la création hors logiciel. Une reformulation des données culturelles ? » Thèse pour l'obtention d'un doctorat en Sciences de l'Information et de la Communication. Le 16 mai 2011

2032 P. LEROUX, «Décollage», 2008, http://www.pascal-leroux.org/pagesreal/decollage.html (page visitéele 25/06/10).
2033 ULTRALAB, 3 Projets, 2004, éditions Archibooks.

2034 P. LEROUX, «Décollage», op. cit.
2035 P. LEROUX, «Décollage», http://www.pascal-leroux.org/films/decollage.html (page visitée le25/06/10).
2036 Galerie RDV, du 05 avril au 17 mai 2008, Nantes, http://www.galerierdv.com
2037 P. LEROUX, «Décollage», idem.

2038 P. LEROUX, «Décollage (suite)», 2008, http://www.pascal-leroux.org/pagesreal/decollage-suite.html(page visitée le 25/06/10).

2039 P. LEROUX, page d'accueil, http://www.pascal-leroux.org (page visitée le 26/06/10).

Lien vers la thèse en ligne : https://hal.archives-ouvertes.fr/tel-02276546/document

 

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