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Bout d’essai sur Pascal Leroux

« L’absurde, c’est la raison lucide qui constate ses limites »,   Albert Camus dans « Le mythe de Sisyphe » .


Fiche signalétique :
35 ans en l’an 2000, normand natif de Cherbourg, nantais par la suite, autodidacte dès 17 ans, musicien - trompettiste par goût et pour gagner quelques sous dans des formations de jazz. À 25 ans, rencontre avec des gens des beaux-arts, terra incognita pour ce curieux ouvert aux aventures de l’esprit. Diplômé de l’école régionale des beaux-arts de Nantes en 1997 à l’âge mûr de 31 ans. Fasciné par Marcel Duchamp et son intérêt pour les découvertes scientifiques de son époque. Admirateur de Méliès, créateur complet, de Tati, Keaton et Chaplin, « autant plasticiens que cinéastes, c’est-à-dire des artistes autonomes ». Très proche enfin de l’artiste suisse Roman Signer, sculpteur de l’espace, du mouvement et du temps au travers d’événements physiques et de leurs traces.

Son, souffle, image, trucage :
De sa pratique des instruments dits si joliment à vent, comme la trompette, Pascal Leroux retient (son) souffle qu’il met en image dans le transporteur de son, chariot ingénieusement bricolé au système archaïque, glissant en équilibre fragile sur deux fils tendus entre deux souffleries. Poussé de l’une à l’autre, le chariot transporte alors un son de free jazz produit par un magnétophone à terre.
La liberté du jeu musical – de la création ?– est, en fait, contenue dans des rails et soumise à un va-et-vient incessant, inutile et sans alternative.

Tout est donné à voir dans Pour une chute libre des corps : les boules de polystyrène et la boîte en carton qui essaie de les contenir, le projecteur et l’image des corps qui glissent sur un bout de parpaing. Pourtant, dès que quelqu’un s’approche, se déclenche une aspiration des boules qui deviennent alors rideau de perles blanches sur lequel glissent des corps d’hommes et de femmes entraînés dans une chute sans fin et, semble-t-il, irrémédiable.

Le basculeur, où l’artiste lui-même bascule dans un déséquilibre télévisuel et physique : le socle attaché au moniteur TV se balance tel un culbuto, amène au-delà du premier sourire, à prendre conscience de la situation désespérante de cet homme coincé dans une boîte et soumis aux variations d’une machine dont il ne possède manifestement pas la maîtrise.

Sous les phénomènes de gravité, l’absurdité :
Au-delà de l’apparence ludique de ses dispositifs à (sur) prise de vue, bricolages et trucages à vu, jeux d’équilibre et/ou de déséquilibre, les pièces absurdes de Pascal Leroux évoquent la tragédie humaine d’un « Sisyphe condamné par les dieux à rouler sans cesse un rocher jusqu'au sommet d'une montagne d’où il retombait par son propre poids. Ils avaient pensé avec quelque raison qu'il n'est pas de punition plus terrible que le travail inutile et sans espoir.(...) On a compris déjà que Sisyphe est le héros de l'absurde. Il l'est autant par ses passions que par son tourment.» Albert Camus : Le Mythe de Sisyphe.
« passions,(…) tourment », on est bien loin des machineries ludiques et artisanales dont on pensait s’amuser. L’immédiateté de l’idée donnée par une construction brute, la légèreté des moyens utilisés et leur fragilité, la vie -même des machines soumise à l’action du spectateur – acteur, ne cachent pas l’interrogation tragique sur ce « travail inutile et sans espoir » de l’artiste.


L’artiste serait-il alors ce héros de l’absurde, autre Sisyphe condamné par lui-même à cette punition terrible qu’est l’art ?

Patricia Solini
Le lieu unique, Nantes / 2000

 

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