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Pascal Leroux
fait sans nul doute partie de cette lignée de bricoleurs inquiets qui,
de Tinguely à Baquié, jettent un regard distancié et poétique
sur les objets, détournant et réinventant natures et fonctions,
donnant au dérisoire une force expressive qui n’est pas sans rappeler
l’art du cinéma muet. Les pièces de cet artiste de 34 ans
se jouent ainsi parfaitement des «fausses interactions »
possibles entre l’objet réel et les représentations mentales
qu’il suscite. Où comment un son ou une image se modifient, transitent
d’un point à l’autre de l’espace, s’incorporent
dans l’esprit du spectateur ; En le maintenant à une distance
que l’on dit «respectable », à un seuil de visualité
qui, toujours, demeure infranchissable. Nous parlons ici d’une distance
réelle, immédiate, qui permet au regardeur d’embrasser la
pièce dans toute son ampleur et sa complexité, ses pleins ses
vides, sa dynamique et son essoufflement possible. Souvent, à l’intérieur des
installations de Leroux, un objet répète la même action
qui, à la longue, semble se dérober au regard et provoque dès
lors une appréhension différente de l’espace environnant,
plus prégnante et lucide qu’il n’y paraît. C’est
ainsi que se nouent des liens de type cognitif entre le spectateur et ses œuvres
multiples où s’enchevêtrent sons, images et mécaniques
bien huilées. L’expérience immédiate des dispositifs
bricolés ouvre un territoire vaste, on aimerait dire une «béance »,
où s’engouffrent souvenirs et perceptions que l’on croit
oubliées, où se retrouve aussi la simplicité de certaines
images télévisuelles. A ce titre, ce que l’artiste nomme
«ré-création du regard » désigne en réalité
une véritable «re-création » de la part du spectateur-acteur
qui entre en contact et\ou en conflit avec l’œuvre, cette dernière
produisant toujours un travail à double détente entre ces deux
pôles physiques que sont l’humour et l’absurde. Il s’agit
là de formes en tension, changeantes, en lutte contre l’éphémère,
et qui pourtant s’en remettent à elle. D’où cette
tension savamment entretenue à l’intérieur de chaque dispositif
crée : L’espace d’une seconde l’objet usuel y
semble animé d’une vie parallèle, toujours surprenante :
théâtre(s) d’ombres et de lumière livré à
un devenir précaire, émetteur(s) de sons discontinus, sourds,
inquiétants. En réalité, c’est tout un
monde lié à l’enfance qui prend corps, se déploie
ici : films super 8 qui ne soulèvent plus qu’ombres inquiétantes
et volatiles(«le projecteur volant »,1998),billes suspendues
grâce au flux de l’air, jeux de cache cache auquel le spectateur
se prête malgré lui (« les souffleurs »,1998),
autant de renvois à notre conscience propre qui rendent la démarche
de l’artiste moins dérisoire et plus sensible. Il est là
question d’un état de fragilité, de l’existence précaire
et pourtant bien réelle d’objets assemblés sans ménagement.
De multiples variantes autour d’actions élémentaires :
effets d’aller-retour, rappel d’une position initiale, chute d’un
corps plus léger que l’air… D’un état des choses
vouées à la répétition sans fin pour échapper
à l’entropie, entre la puissance motrice et la disjonction, entre
la permanence du même signal et le court-circuit. D’une volonté
intuitive de la part de l’artiste qui, par ses diverses manifestations,
tente de combattre l’irréductibilité du temps qui passe.
Hugues Blineau, documents de travail 2000 |